La voix est calme et posée, le regard impassible, l’allure lente et majestueuse. Un fauteuil très confortable installé sur l’estrade et à lui destiné, une nuée d’hommes aux petits soins pour lui et des anges gardiens discrètement postés dans la salle et devant les portes. Sans compter les véhicules "fonds rouges" stationnés au parking.
Ici, on reconnaît l’épouse du Premier ministre burkinabè, Luc Adolph Tiao, là, le ministre de l’Education nationale et de l’Alphabétisation, Koumba Boly. Sous des arbres, un groupe de Rwandais, résidant à Ouaga, devisent, à voix basse. Alors que leur Premier ministre, Pierre Damien Habumuremyi, arrivé quelques minutes plus tôt, est conduit dans une salle.
Surtout ne vous méprenez pas sur ce qui est en préparation. Nous ne sommes ni à une audience ni à un colloque international. L’événement se déroule à l’unité de formation et de recherche en sciences juridiques et politiques de l’université de Ouaga 2. A l’occasion d’une soutenance de thèse dont le candidat est… le chef du gouvernement du Rwanda lui-même.
Premier à soutenir une thèse de doctorat à l’UFR/SJP, le futur impétrant, dans la présentation de son œuvre, justifie le choix de Ouagadougou par une volonté de désacralisation : « C’est pour démystifier les diplômes obtenus dans les universités occidentales ». Une démarche que partage fort bien son maître de thèse, le professeur Augustin Loada : « Ce n’est pas le lieu de la soutenance qui fait la qualité du travail. Beaucoup de gens croient que soutenir dans une université européenne est gage de prestige ». [L’impétrant en train de présenter au travail]
Preuve que « l’habit ne fait pas toujours le moine » : c’est avec la mention « très honorable » que le président du jury, Alou Mahamane Tidjani, agrégé de Science Po. de l’université de Niamey, a déclaré l’aspirant venu de Kigali « docteur en science politique ». Sous le regard admiratif de son épouse. La thèse : « Pouvoir politique et ethnicité au Rwanda : analyse du conflit rwandais et de l’offre politique de l’après-1994 pour la reconstruction d’un Etat-nation », traite des conflits identitaires et sociopolitiques qui ont marqué le Rwanda.
De l’exploitation par le pouvoir colonial du mythe de supériorité de l’ethnie tutsi sur les deux autres (hutu et twa) à l’instrumentalisation de cette perception par les régimes qui se sont succédé jusqu’en 1994, Pierre Damien Habumuremyi, revient par le menu sur les péripéties communautaires qui ont mis à mal le sentiment d’appartenance nationale. Et chaque acteur de cette histoire mouvementée en aura pour sa responsabilité : « La Belgique, l’ONU, l’Eglise catholique, la France ont tous exploité cet état de marginalisation ». Même si l’auteur reconnaît que la faute revient surtout aux élites hutu et tutsi qui « ont manqué d’idéologie inclusive, d’intégration et de tolérance ».
Une démarche rétrospective qui vise, entre autres, à mieux comprendre la « conflictualité rwandaise » et à « mesurer l’efficacité de l’offre politique postgénocide de 1994 mise en œuvre pour le reconstruction du Rwanda ».
Au terme de sa recherche, le doctorant, nommé Premier ministre en octobre 2011, et dont les travaux ont commencé il y a de cela cinq ans, estime que ses compatriotes approuvent l’efficacité de cette offre politique postgénocide de 1994. L’efficience de celle-ci, a-t-il conclu, « est appréciée par les citoyens à travers trois indicateurs : le niveau de représentativité, le niveau d’accès aux opportunités nationales, et celui de la cohésion sociale nationale ».
Alain Saint Robespierre/Lobservateur Paalga