L\'atmosphère à l\'Université de Ouagadougou

Nouveaux bacheliers burkinabè, bienvenus à Guantanamo

Il y avait de l’émotion le jour de la délibération du baccalauréat dans les différents lycées du Burkina Faso. Les candidats admis ont sauté de joie en entendant leurs noms ou en les voyants affichés sur des tableaux. Ils ont crié : « enfin l’Université » sans savoir ce qui les attends réellement sur le campus de Zogono (l’Université de Ouagadougou) encore appelé Guantanamo.

 

Les nouveaux bacheliers ont fini leurs inscriptions à l’Université de Ouagadougou même si l’administration est en train d’organiser une session pour les retardataires. « Guantanamo », c’est par ce nom que les étudiants burkinabè surnomment l’Université de Ouagadougou. « Guantanamo », c’est également le nom de la célèbre prison américaine située au Cuba et où sont enfermés les plus grands terroristes. Elle est également vue comme l’un des plus grands centres de torture du monde. Si l’on surnomme l’Université de Ouagadougou ainsi, c’est que la prison de Guantanamo  a fait parler d’elle surtout  à cause donc des conditions de détention de ses prisonniers. Les étudiants comparent les difficultés qu’ils connaissent aux tortures que subissent les prisonniers  de cette prison. « Guantanamo » n’est pas le seul surnom de l’Université de Ouagadougou. Les étudiants l’appellent aussi le « Calcio » en référence au championnat italien la série A. Si aujourd’hui la premier league (le champion anglais) est considérée comme le championnat le plus dur, le surnom « Calcio » s’explique par le fait que le championnat italien, il y a quelques années était considéré comme le plus difficile au monde. Les défenses italiennes sont rigoureuses et il faut être un attaquant de grande classe, de talent exceptionnel comme Georges Weah à l’époque, ou récemment quand Samuel Eto’o jouait à l’Inter Milan, pour pourvoir marqué des buts. « En Italie, soit l’attaquant passe et le ballon reste ou le ballon passe et l’attaquant », c’est l’idée qu’avait les Burkinabè du championnat italien. Cela signifie qu’un attaquant ne peut pas traverser la défense  sans laisser des plumes. « Le Calcio » parce que seuls les étudiants surdoués peuvent échapper à la sévérité des professeurs considérés comme des défenseures du championnat italien. Lorsqu’un étudiant réussit quatre d’années d’études sans reprendre une classe ou aller en session (nous en parlerons plus loin), il est respecté. C’est un surdoué. Car il s’agit d’une sélection naturelle. Mais ce n’est pas le plus fort qui survit mais le plus malin.


La course pour le maillot jaune

Les nouveaux bacheliers ont « arrosé » leur diplôme. Arroser les diplômes, c’est fêter le succès au baccalauréat avec ses amis au cours d’une soirée. S’ils savaient ce qui les attendait  à Guantanamo ou dans le Calcio, ils garderaient leur joie pour eux même. D’abord, le premier obstacle auxquels ils devront faire face est de prendre le « maillot jaune », c’est-à-dire faire tout pour être au premier rang. « Le maillot jaune » est  bien sûr une expression du cyclisme. Le détenteur du « maillot jaune »  (en générale et pour le tour de France et du Faso en particulier) est le vainqueur au temps d’une compétition de cette discipline sportive. « Maillot jaune », parce que l’étudiant doit se lever tôt le matin pour faire le rang d’abord afin de pouvoir déposer à temps les dossiers de candidatures pour la demande de place. C’est celui qui arrive le plus tôt qui a la première place.  Il remporte donc le « maillot jaune ». On l’appelle « maillot jaune » ou « maillot » tout simplement.

 

Le problème, c’est que presque tout est question de « maillot jaune » à Guantanamo. Pour le dépôt des dossiers de candidatures, le retrait des fiches d’inscription, les demandes d’orientations, les inscriptions pédagogiques, les inscriptions académiques, pour chier, payer des tickets pour le restaurant, aller au RU etc.,  En parlant du RU, Il s’agit de l’abréviation du restaurant universitaire. Imaginez-vous, des étudiants prendre « le maillot jaune » à 8 heures alors que le service du repas commence à 10 heures. Ceux qui attendent l’heure du service pour prendre le rang peuvent espérer un hypothétique plat de riz gras non accompagné de poisson comme c’est le cas habituellement. En plus, ils ne peuvent pas faire de choix. Le plat préféré des étudiants est  le « dègué », une sorte de yaourt mélanger à de la farine de mil. Alors pour avoir ce plat, il faut se « réveiller matin bonheur » pour prendre le maillot jaune. Le contingentement des plats fait que tous étudiants les étudiants ne peuvent pas avoir à manger. C’est pourquoi ceux qui sont à la queue ont toujours l’air inquiet. La queue, comme la « queue du peloton» en cyclisme.

Pour ceux qui mangent au RU, c’est juste parce qu’ils ne peuvent pas s’acheter un plat à 300 francs CFA dans « la rue» . « Manger dans la rue », c’est manger dans les restaurants situés aux alentours de Guantanamo. Là, le plat coute 300 francs CFA au minimum. Au RU, le plat qui est supposé coûter 600 francs (la majorité des étudiants n’y croit pas) est acheté avec un ticket de 100 Francs CFA. D’ailleurs pour avoir ces tickets, il faut prendre « le maillot jaune » au CENOU). Là bas aussi, c’est une vraie bagarre. Car il faut souvent attendre de longues heures. Seuls les riches ou les boursiers peuvent manger « dans la rue ». En parlant de manger il faut plutôt dire « valider ». Voilà pourquoi un étudiant vous dira : «  Je viens de valider avec dèguè parce que j’ai pris maillot au RU » ce qui signifie  » je viens de manger du dèguè parce que j’étais le premier au restaurant universitaire ». La question est souvent de savoir si les étudiants luttent pour le restaurant ou pour être dans les amphis.  Vendre vide n’a pas point d’oreille. Les retardataires grâce au soutien de leurs camarades mangent en « FM » s’ils n’ont pas eu leurs rations. Ils partagent le plat de ces derniers.


Prendre du café pour veiller

Dans la lutte pour le « maillot jaune », l’étudiant doit tout faire réussir à la première session, celui de juin, sinon il ira au « congrès » qui est la deuxième session prévu généralement en septembre. Et là rien n’est certain. En plus il n’a pas de vacances. Cette deuxième session de rattrapage s’appelle le « congrès ». C’est là qu’interviennent les « 2Kpi ». Faire les « 2kpi », c’est veillé pour bosser ses cours en consommant généralement du café. Il faut que le « boilô » soit propre. Le  mot « boilô », vient du Philosophe Boileau en référence à sa célèbre citation« Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement, et les mots pour le dire arrivent aisément».  Boilô ressemble à « boire de l’eau ». Alors qu’on bosse les cours comme si on boit de l’eau pour ensuite « vomir » les leçons pendant le devoir. Mais, il y a des stratèges qui préfèrent aller au « congrès », malgré les angoisses que cela cause. Pendant cette session de rattrapage, les étudiants composent uniquement dans les matières où ils n’ont pas eu une moyenne supérieure à 10. Avec souvent une vingtaine de cours à bosser, certains préfèrent se concentrer sur la moitié, les plus dures à la première session. Ils s’assurent ainsi de bonnes notes et lors du « Congrès », ils se concentrent sur les autres matières. Souvent, il leur suffit de faire le minimum en ayant seulement 8 de moyenne dans l’ensemble de ces dernières matières pour ne pas redoubler. C’est le système souvent utilisé par certains travailleurs qui n’ont pas le temps.

Si la limite d’âge et l’exigence d’une moyenne supérieure ou égale à 12 pour faire des études des médecines empêchent les nouveaux bacheliers d’opter pour cette filière, la majorité a envie d’aller en Sciences Juridiques et Politiques encore appelés Droit. Cette unité de formation est appelée la « Chine populaire» à cause de son effectif pléthorique.

A Guantanamo, il y a deux catégories d’étudiants. Ils y a ceux qu’on appelle les « fonctionnaires ». Il s’agit des boursiers parce qu’ils perçoivent leur primes chaque mois. Il y a également les « retraités» . Cette couche d’étudiants est composée de ceux qui bénéficient de l’aide ou du prêt du Fond National pour l’éducation et la recherche (FONER). Chaque année, le gouvernement offre de l’aide aux étudiants. Ces montants tournent entre 150.000 francs CFA et 200.000 francs en fonction du niveau d’étude de chaque étudiant. Ceux qui touchent le FONER sont les « retraités ». La référence aux retraités s’explique par le fait que ces derniers touchent leurs pensions chaque trimestre. Les « Foneristes » ou « Foneriens » ou encore « retraités » passent à la caisse chaque trimestre même si certains préfèrent attendre à la dernière minutes pour empocher le « jackpot » au lieu de prendre son « FONER » de façon morcelé. Cela constitue le gros lot. Ceux qui le font n’ont généralement pas de problème financier.  Le FONER ne suffit pas parce que les étudiants de Guantanamo sont toujours criblés de dette.


Des photocopies chaque jour

Il ne faut pas penser que le FONER peut être utilisé pour faire la cour aux demoiselles. Chaque jour que Dieu crée, l’étudiant est obligé de faire des photocopies. En plus des cours que le professeur dispense il y a également des documents qu’il demandera de trouver. Comme les livres coûtent chers, les étudiants se rabattent sur la photocopie tout en pensant  à économiser afin de prendre « le maillot jaune » au RU (Restaurant Universitaire si vous vous rappelez). Si 200.000 francs CFA paraissent beaucoup, cette somme en réalité dérisoire au vu des dépenses. Elle ne suffit par pour le carburant pour ceux qui ont la chance d’avoir des motos. Ceux qui n’ont pas de moyen de déplacement doivent se rabattre sur le bus dont la carte mensuelle coûte 5000 Francs CFA. Heureusement, la situation semble s’être améliorée car il y a deux ans, pour espérer avoir une place, il fallait se lever à 4 heures du matin. Le problème de loyer se pose souvent pour les étudiants qui viennent des provinces. Certains pour faciliter tout cela, préfèrent s’organiser en « Gonhi », un terme nouchi qui signifie famille ou groupe. Ils louent des maisons et cotisent pour payer le loyer. Ceux qui sont dans les cités universitaires se voient souvent dans l’obligation d’accueillir des « cochambriers » ou des Cambodgiens. Cambodgiens pour ne par dire réfugies.  « Cambodgiens » étaient devenu synonyme de réfugiés à cause de la guerre qui a secoué ce pays et avait causé beaucoup de déplacés. Pour une chambre prévue pour une personne, les étudiants se retrouvent à quatre. Les trois autres sont les Cambodgiens mais tous les quatre s’appellent « cochambriers ».

Les mots ne suffisent pas pour parler des conditions des vies des pensionnaires car il y a des choses qui se vivent. Et comme aiment le dire les étudiants, « lorsqu’on quitte l’Université de Ouagadougou, on est armé pour faire face à toutes les difficultés de la vie ».Ceux qui n’ont pas la force de tenir quittent et s’inscrivent dans les écoles supérieures. Là également, les étudiants vous diront qu’il y a deux poids et deux mesures. Une opinion rependue fait croire que les professeurs de l’Université de Ouagadougou qui enseigne également dans les écoles supérieures et les universités privées sont plus tolérants lorsqu’il lorsqu’ils corrigent les copies dans ces établissements. Cependant, ceux qui sont passés par l’Université de Ouagadougou ont plus de fierté car ils sont généralement reconnus comme étant parmi les meilleurs. D’ailleurs l’Université de Ouagadougou, Guantanamo donc, est considérée comme la deuxième meilleure Université de l’Afrique de l’Ouest.





04/10/2011
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